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Portrait de Cornillon
en poète
Cahier 1
Les Figures de Cornillon
Introduction
Surplombant une longue plaine de vignes et de forêts, offrant depuis ses belvédères un paysage géographique comme nous en feuilletions dans nos livres de Classes Primaires, le village médiéval de Cornillon ressemble à un nid d’aigle. Maintenant démantelé, son Château aux puissantes murailles et à l’enceinte presque intacte, possédait de très grandes richesses, dont le trésor du Pape Clément VI. Une scène et des gradins ont été aménagés dans sa Cour où, l’été, se succèdent les spectacles (1). Le toponyme Cornillon paraît peu explicable par la “petite bête à cornes”. Un ami géographe m’a suggéré une autre origine : le “point dominant”(2). Cela fait belle lurette que l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine s’est employée à préserver et valoriser l’architecture du village et son histoire culturelle. Dans cet ouvrage, l’idée sera de ne pas séparer un premier cahier, autour de quelques “personnages” humains ayant participé au devenir de Cornillon (ses “éminences grises”) -- et un second cahier présentant des “personnages culturels”, avec monuments, murs, crucifix, église et clocher, rues, impasses, sentiers, sarcophages, vignes, et des “personnages naturels”, avec forêts, arbres remarquables, points de vue, climats et atmosphères, les couleurs, les ciels, quelques éléments de faune et de flore, les pluies, la neige…
Bien entendu, d’autres « figures » auraient pu être citées. Il n’y a pas de figure sans « fond », il n’y pas de création collective sans communauté de tout un village. Chacun a pris sa part et joué son rôle pour que Cornillon continue d’être un « personnage » de premier plan.
Arnaud Villani a rédigé le texte. Freddie Brazil et Jack Moran ont réalisé le reportage photographique. La publication de cet ouvrage n’aurait pu être envisagée sans l’aide de l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine de Cornillon, de l’Association Vivre Ensemble à Cornillon (AVEC), et celle de la Mairie de Cornillon. Nous les en remercions tous vivement.
Vanda Vitali Pisani
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L’actuel propriétaire du Château est la famille Courcelle de Sibert.
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D’un radical pré-indo-européen +Ker-, ayant signifié “la tête” (kranion)
“le point de crise” (critique), “l’abondance” (corne).
Josette Fontanille, la Dame de Cornillon. L’élégance incarnée. Folle d’amour pour ce village, avec quelques autres, elle avait notamment interdit que la cour du Château, ses belles ruines et sa vue imprenable, échoient au premier venu. Elle a aidé au déblaiement du chemin des remparts. Elle a ouvert son jardin au colloque champêtre que j’y ai tenu longtemps, avec mon idée de faire venir, parfois de loin, des amis, philosophes et poètes, qui ont des choses à dire. Les marronniers, qui nous protégeaient de leur ombre, en devinrent philosophes, ce qui se devine à tendre l’oreille. Parfois, le vent levé éparpillait les notes. L’envol des feuilles luttait contre les paroles abstraites, et les lestait d’un corps aérien. Attentive, depuis sa fenêtre, la main un peu pliée, Josette semblait alors orchestrer les débats.
Claude et Anne-Marie Laffont, l’un ne va pas sans l’autre. « Klédouques », détenteurs des clés de l’Eglise. Parvenus, dans leur Association pour la Sauvegarde du Patrimoine, à réhabiliter ce monument, intérieur et vitraux. Toujours présents au « banc », qu’avait immortalisé, dans un village corse, la patte rieuse de Goscinny et Uderzo (Astérix en Corse). Mais un banc ni si vieux ni si médisant ! Cornillon y continue, décennies après décennies, même si d’anciennes photos montrent les coupes sombres que le temps y a taillées (3). Fiers, mais sans prétention, francs comme l’or, mémoires de vie, offrant à la commune un terrain pour la distribution de l’eau, se donnant sans réserve pour les festins du 14 juillet, les époux Laffont, jamais un mot plus haut que l’autre, gardiens du devenir du village comme il va.
3. Une photo de 2005 saisit ce banc sous les rhododendrons, et montre des cornillonais depuis disparus : Elise Jourdan ; Jeannette Fustinoni; Maurice Castanier; Yvette et André Flandin.
Marcelle Castanier ! Elle symbolise une pluie de graines, dispensée au bas de tous les murs, pour obtenir un village naturellement fleuri. Malgré ses quatre-vingt-dix ans et quelques, mains derrière le dos, corps en avant, tremblant d’une impatience d’agir, d’avancer, couchée et levée tôt, pour préserver chaque seconde. Son fils Jean-Luc dit « le Louquet », perpétue la tradition familiale de culture de la vigne. Cette activité incessante explique qu’elle ait tenu un restaurant, où ses asperges étaient très demandées. L’intérieur de sa maison est coquet, moderne. Mais comme ses entours de vignes et de champs me rappelle l’enracinement de quatre gaillards de la vallée du Paillon, mariés à la nature, aux marrons et aux topinambours, une si belle humilité, une vie si magnifiquement traditionnelle ! Les yeux pleins de nature de Marcelle sont là. Et, dans la fente rieuse de ces yeux perce la joie saupoudrée d’humour d’être à sa place dans le lieu où elle vit.
Michel Montigné, peintre officiel de l’Armée, aquarelliste de renom, auteur aussi d’huiles, que j’ai toujours adorées. Telles années, besace au dos, il s’engageait à pied dans son « Compostelle » de mille kilomètres et en ramenait ses Carnets de voyage, fagotés au jour le jour, mariant chemins des hommes et circonvolutions de dessin-peinture. Il lui arrivait en hiver, sur vingt jours, de ne rencontrer âme qui vive au village. Il passait alors sans un mot, perdu dans ses projets de peintures, mais également de sculptures, bois et ferrailles. Un jour, il me dit : « je viens de voir trois nuages rectangulaires ». Plein d’humour, riche personnalité, aimant la fête, la poésie jusqu’au slam, la peinture à même le corps, concerts, colloques et soirées entre amis. Pilier indéboulonnable du village.
Voici Patrick Rouquette, croqué par Michel Montigné en costume de combattant de la paix. La physionomie est vraiment rendue. C’est bien lui, il est là, avec nous. Sa moue de lèvres dit bien sa détermination, et qu’il ne fait pas de différences entre réussir un tableau et discuter à cœur ouvert. Son intelligence de regard est parfaite. L’un des fondateurs de notre AVEC (Association Vivre Ensemble à Cornillon), il lui a offert, sur les fonds de la sienne, Les Arts du Château, de quoi démarrer concerts, colloques, soirées poésie et peinture. Irremplaçable, disparu en toute humilité, furtif avec des mots qui vont droit au cœur, il fut et reste un événement dans notre vie. Voici quelques vers que je lui ai dédiés : « Ton départ de fumée et de chaudron noir / est tombé sur le village comme un début d’hiver / la porte des maisons grince / un vrai serrement de cœur ».
Arnaud Villani, poète, écrivain, philosophe. Son amour du jazz lui a permis de constituer une riche collection de vinyles. Sens affiné de la culture et des idées, jamais séparés des mots souvent charnels qui les expriment. Multiplié dans ses projets par l’amour qu’il voue à sa muse, Marie Pierre. Il a ainsi pu contribuer, au long des années, à apporter sa contribution à ses étudiants de khâgne (il les comparait à un grand orchestre qu’il aurait eu l’honneur de diriger), mais également aux habitants du village. En septembre sort son trente-cinquième ouvrage, une recherche sur un type ancien de pensée, occulté pendant des millénaires et qui, bien restauré, pourrait suggérer une sortie de la crise moderne. Articles et ouvrages de philosophie, de poésie et de traductions de poésie, publications de dix ans de conférences dans son “colloque rustique”, au sein de l’Association AVEC qu’il dirigeait alors, tout autant que ses jazz-sessions invitées, ont pu ajouter leur pierre à Cornillon et son Château, en faisant un centre vibrant de débats et de culture vivante.
(Vanda Vitali-Pisani)
Léo de Schepper, la bouche sensuelle et amusée, pour fêter tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à une sève du printemps, couronné de ses graines, semences, fleurs et feuilles, courtes branches, fortes racines, qui faisaient dans ses tableaux une pluie de nature à l’état nu. Nous avions ensemble traduit les poèmes de son ami Daan Anthuenis, ce poète puissant, luttant des années contre une longue maladie, soigné par sa panacée poétique, toujours prêt à écrire un poème, un discours, le début d’un débat. On se souviendra longtemps du mariage, à Cornillon même, de Christiane et Léo, et de sa désopilante chanson du « canari ». Vrai pilier de Cornillon, humoriste-né, soutien rare de de notre Association AVEC, prêchant pour l’amitié des artistes. Léo « le lion », parti sourire aux lèvres, pour un long voyage.
Jean-Marc Estournel, vieux loup de la mer verte de Cornillon, humoriste et électricien de son état. Chaque nouvel Avent apporte la lumière de sa crèche. Il ne mâche pas sa peine et on le voit plier sous d’énormes pierres, des parties de troncs, des clayettes pour étayer la structure. Un réseau de fils invisibles court illuminer chaque chaumine. Plus qu’un récit natal (natalis serait l’origine du mot Noël, mais on avance aussi deux mots gaulois, noio, nouveau, et hel, le soleil), c’est une histoire vivante de la Provence des petits métiers, des paroles de chansonnier sur la vie comme elle va, des coutumes qui s’effacent si on ne les rappelle. Et l’Eglise, celle qui « rassemble à l’appel » de son clocher, est comme vivifiée d’accueillir en son sein, et pour quelques mois, sa propre gestation.
Philippe Bérouard, notre potier, l’œil malicieux, a gardé la noblesse et la sagesse des forgerons et métallurgistes, des « maîtres du feu ». La multitude de ses outils et de ses pots épars tapisse l’atelier. Il a en mains une de ses compositions, il la caresse. L’argile, cette vraie panacée, est la compagne des plus anciennes cultures. Les pots grands modèles, il faudra les chercher à Anduze, car leur poids finit par trop peser sur la colonne vertébrale. Philippe et Léo avaient créé une série d’assiettes où le peintre laissait aller une nature bondissante et essaimante. Aimante aussi. Mais l’inscription en céramique de ce style éclaboussé s’est achevée en même temps que Léo.
Madeleine (Madou) Lunel (1), avec ses camarades et émules, Emilienne (Mimi) Castor (2), Antoinette Privas (3), Hélène Rovery (4), Josette Fontanille, Marcelle Castanier, et Yvette Flandin, l’équipe de l’ancien Groupe de Vulgarisation Agricole (GVA), toutes dévouées à la cause de Cornillon, et ayant joué un rôle central dans l’embellissement et la préservation du village. La famille de Madou avait déjà embrassé cette cause. Son oncle, Raymond Lunel, malgré sa cécité totale, a planté partout dans le village arbres et fleurs, notamment le long du chemin de la Barrière. Ce sont ces sept passionarias qui ont pris l’initiative de faire disparaître les tas d’ordures accumulés, selon, l’usage de l’époque, au bas des remparts, et de dégager le chemin des enceintes. Madou sera longtemps la trésorière de l’Association, Antoinette Privas la présidera durant douze années cruciales. Madou poursuivra son travail bénévole en visitant les malades à la Maison de retraite, nouvellement construite, de Cornillon-bas.
Gérard Castor, longtemps Maire de Cornillon. (Maire, c’est major latin, « plus grand, plus important »), poursuivant le combat de sa mère, Emilienne Castor, Mimi pour les intimes, qui, avec d’autres exploitants, avait obtenu l’attribution du label « Côtes du Rhône », a réussi ce qui ne s’est révélé qu’après ses mandatures : la fraîcheur préservée du Cornillon de vieilles pierres, qu’aucun commerce n’est venu déflorer. Car on les connaît, ces petites villes défigurées par leur célébrité, à Gordes, à Carcassone, à Saint-Paul-de-Vence, n’offrant qu’une enfilade d’échoppes sans rapport avec le site. Gérard a préservé son domaine viticole, Saint Nabor, du nom d’un saint alsacien, donnant accès au Mont Sainte-Odile. Il a donné en toute propriété une part de ses terres pour la construction de la Maison de retraite de Cornillon. Il a enfin manifesté par un square son admiration pour l’œuvre d’Aimé Césaire, auteur du Cahier d’un retour au pays natal, et qui l’honorait de son amitié. Très marqué par la disparition précoce de sa femme, Jeannette, Gérard offre des yeux où se lisent à la fois l’inquiétude et la détermination.
Jeannine Moulettes a mué en sacerdoce son poste d’Adjointe au Maire pour les Affaires culturelles. Je me souviens de la facilité avec laquelle, ayant choisi un groupe de jazz dont je connaissais la valeur, et m’étant entendu avec les musiciens pour réserver une date fixe, je trouvais aisées les formalités d’occupation de la Cour du Château, dont Jeannine avait aplani les démarches. Voguait la galère du jazz. Son enthousiasme était communicatif, son engagement total. Elle savait organiser les manifestations. Elle préside des années durant l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine de Cornillon.. Elle lance, avec Sophie Laffont, Joelle Duplaix, Claude et Anne-Marie Laffont, un Festival de Théâtre. A l’occasion de la Crèche de Jean-Marc, l’Eglise devenait l’abri des “Marchands du Temple”. Mais pas question de les en chasser ! Car l’Association y vendait pour la bonne cause ses bibelots fabriqués l’hiver, et Françoise Lombard y déversait ses multiples caisses de livres à 1 euro, qui faisaient tant d’heureux !
photo : © B. Villani
Arlette Gay, l’institutrice de l’ancienne Ecole intra muros, une institution à elle seule (4) ! Pleine de vie à quatre-vingt quinze ans passés, “libre dans sa tête”, courageuse, curieuse de tout, toujours désireuse d’apporter aux autres, elle continue à donner des cours à ceux qui en éprouvent le besoin ou le désir. Beaucoup de voyages dans sa vie, bien des expériences. Toujours enjouée, le mot pour rire. Même seule, toujours avec les autres. Elle illustre cette solidarité des villages, encore vive il y a une centaine d’années, lorsqu’on était chez les autres pour les aider, et les autres chez vous. Comme cet hiver où les murs de neige de deux mètres empêchaient les déplacements, et où le boulanger de Saint-Gély avait avancé aux habitants de Cornillon des sacs de pain pour plusieurs jours. Arlette Gay, la solidaire, quand entraide et réciprocité, avec leurs longues tables et leurs veillées, n’étaient ni projet politique ni injonction sociale de diseurs de grands mots, mais un fait, simple comme ”bonjour !”
4. Lui avait succédé, à Cornillon-bas, la très dynamique Dany Vigier-Flandin, qui anime aujourd’hui le club « marche » de Cornillon.
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